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Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
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27 janvier 2007

Le Kosovo ou l'impuissance du monde

La communauté internationale est-elle capable de mener un peuple, autrefois menacé par ses "tuteurs", défendue et depuis lors protégé par elle, vers une indépendance justifiée? J'ai bien peur que la réponse soit éternellement non, même quand l'essentiel du chemin a été parcouru.

Le cas du Kosovo est à cet égard édifiant. Huit ans après l'intervention de l'OTAN pour protéger sa population albanophone et musulmane de l'agression de l'armée serbe, et après autant d'années d'une gestion directe de son territoire par l'ONU, l'ex-province autonome de Serbie semble devoir flotter encore longtemps dans un nuage juridique. Alors que son "statut définitif" devait être fixé dans le courant de l'année 2006, le début de l'année suivante n'amène aucune certitude. La réunion tenue hier à Vienne pour éclaircir l'horizon allonge surtout la liste des obstacles et des faiblesses de la diplomatie mondiale actuelle.

Rien que sur la forme, cette rencontre est un symptome. Elle s'est d'abord tenue à huis clos. Je ne nie pas que les discussions entre Etats et organisations inter-gouvernementales nécessitent parfois ce genre de précautions, mais alors pourquoi annoncer la tenue de celles-ci aussi officiellement si rien ne doit en filtrer, y compris pour les personnes les plus concernées? Cela est d'autant plus surprenant que nous sommes à une semaine à peine de la présentation du plan pour l'avenir du Kosovo, et qu'on eut pu supposer qu'en huit ans, une diplomatie active et résolue aurait suffisamment avancé pour que les dernières minutes ne débattent plus que du détail, donc sans besoin d'être couvertes par un stratégique secret.

Ensuite, cette réunion a regroupé des acteurs dont la légitimité à s'occuper seuls du dossier est fort discutable. Certes, le rôle de "rapporteur" est tenu par un finlandais envoyé spécial de l'ONU au Kosovo, donc par la seule instance à la fois concrètement en charge du terrain et juridiquement superposable à la notion de communauté internationale. Mais ce n'est pas l'Assemblée Générale de l'ONU qui débat et décide, ni même son Conseil de Sécurité. Ce sont les diplomates d'un énième "groupe de contact" mettant en scène les Etats-Unis, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie et la Russie. Mis à part les USA, dont la volonté et l'intervention militaire furent décisives pour protéger les Kosovars en 1999, comment les autres pays justifient-ils leur poids dans le règlement du dossier? Sommes-nous devant un parterre de "nations sages", d'Etats simplement puissants et armés susceptibles de garantir "l'après", ou assistons-nous à une réminiscence du XIXème siècle - débordant sur 1919 - avec des acteurs dont le seul but est d'équilibrer leurs influences, leurs intérêts propres et leurs menaces sans tenir compte des réalités locales? Le blocage de la Russie, qui contre tous les autres défend les intérêts de la Serbie pour des raisons teintées de stratégie-puzzle, de proximité historique et de vanité ethnique, peut en tout cas le faire craindre. Par ailleurs, compte tenu de son absence dramatique de la région dans les années 1990, mais du fait aussi de son périmètre élargi contournant entièrement désormais cette même région, pourquoi l'Union Européenne n'est-elle pas présente en tant que telle à ces pourparlers?

Vient enfin le criticable but ultime de cette réunion, qui ne manque pas de piquant à l'aune des précédents historiques. Il s'agit de préparer un contenu de propositions qui sera simultanément présenté le 2 février à Pristina (capitale du Kosovo) et Belgrade (celle de la Serbie). Dans quel but : co-décider l'avenir du Kosovo? Est-ce normal de prendre comme interlocuteur, et sur un pied d'égalité avec le peuple victime, l'Etat qui au travers de ses structures s'est montré coupable de crime international en organisant - pour la troisième fois en moins de dix ans - l'épuration ethnique ? On devine évidemment ce que recherchent les acteurs "extérieurs" dans cette mise en forme : éviter en Serbie le sentiment d'un diktat à la Versailles qui nourrirait les haines, et cela même au moment ou les ultra-nationalistes viennent de remporter les élections. Mais faut-il pour autant brider la communauté internationale dans la recherche du statut du Kosovo et finalement tenir compte des réticences de l'extrême-droite serbe, celle-là même qui chassait de leurs terres les Kosovars il y a 8 ans?

Sur le fond, les mêmes anomalies, fruits des mêmes atermoiements, vont empêcher une solution stable et équitable d'émerger. L'indépendance pleine et entière du Kosovo ne sera pas prononcée, alors que c'est la volonté qu'ont exprimé à plusieurs reprises les Kosovars albanophones, qui représentent 90% de la population de la province. Une solution innovante mais pour tout dire absolument bâtarde et décevante pour toutes les parties, sera proposée : un Kosovo "non-étatique" aura la possibilité de demander un siège à l'ONU, et il disposera d'une très large souveraineté sauf qu'au sein même de son territoire une police qui ne sera pas la sienne mais celle des Serbes du Kosovo aura une autorité officielle pour protéger notamment cette minorité.

Ce renoncement et ce compromis boîteux révèlent surtout, au-delà des rapports de force que personne n'aura cherché à éteindre en leur opposant le droit international et celui des peuples à disposer d'eux-mêmes, la gêne durable dans laquelle se trouve le monde - et en particulier les acteurs européens - quand il s'agit de définir ce qu'est une nation. Et pourtant...

De ce territoire petit (mais pas plus que le Montenegro au Nord-Ouest ou guère plus que la Macédoine à l'Est), les "kosovars-albanais" représentent 95% des 2 millions d'habitants, soit une "proportion dans un total" comparables au cas de la Slovénie, indépendante en 1991 et membre de l'UE depuis 2004. Leur culture (langue, religion) tranche avec celle de la minorité serbe, et les évènements de la période 1989-1999 ont fait voler en éclat le "vouloir vivre ensemble".  Est-ce être "nationaliste" au pire sens du terme - celui qui cache l'idée de supériorité sur les voisins et non celui de la libération d'un peuple dominé - que d'affirmer dans un tel contexte que l'indépendance de cet espace au profit de l'immense majorité serait normale? Ou cela ne correspond-t-il pas au contraire à des droits affirmés par Wilson dans ses 14 points, dans la Charte de l'ONU puis à Bandung en 1955? Evidemment, cette issue aurait sans doute pour conséquence, dans un telle tension inter-ethnique, le départ douloureux de ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans l'identité de ce nouvel Etat. Ils n'ont en fait, pour la plupart, pas attendu et sont déjà partis vers la Serbie.

Mais voilà : les Serbes n'y étaient que 10% à la fin du siècle dernier (5% aujourd'hui) mais estiment que la région est le berceau historique de LEUR nation, et qu'elle abrite des monuments auxquels ils sont attachés. La Serbie a d'ailleurs rvisé sa Constitution en 2006 pour l'y écrire et ainsi affirmer le caractère inaliénable du Kosovo. Soit. Ce qui compte est le peuple qui vit sur cette terre ou celui qui y a vécu il y a 900 ans?... Si quelques portions de territoire de ce berceau sont ponctuellement peuplées de Serbes en majorité, pourquoi ne pas les détacher du Kosovo et les restituer à la Serbie sur la base des mêmes principes que ceux qui donneraient au Kosovo son indépendance? Ce serait un donnant-donnant réfléchi et loyal. Si la minorité serbe est présente de manière très discontinue et sans jamais atteindre 30 ou 40% de la population communale, pourquoi ne pas faire gérer par l'UNESCO et surveiller par des équipes onusiennes le patrimoine qui s'y trouve pour donner sur ce point une solide garantie aux Serbes? Le "berceau" d'une nation n'étant pas nécessairement - et pas ici - son socle territorial, l'argument ne pèse pas plus. Notre propre "France de 1500 ans" a elle-même connu un glissement, des expansions puis des contractions de territoire, au point d'ignorer aujourd'hui que son premier roi franc et chrétien Clovis, à son couronnement, commandait en fait l'équivalent de ... la Belgique actuelle.

Certains opposent à l'hypothèse d'un Etat-nation kosovar-albanais plusieurs autres arguments. Le premier consiste à comparer la démarche à une poursuite de l'épuration ethnique entreprise par les Serbes. J'y réponds ainsi : comment ne pas attribuer des territoires en fonction des présences respectives, puis opérer des transferts de populations, quand les revendications de part et d'autre sont nationales, antagonistes, et que les perspectives du vivre ensemble sont durablement étiolées? L'indépendance de l'Inde et du Pakistan s'est ainsi faite en 1947, et seule l'absence de préparation et de contrôle international fort explique qu'il y ait eu ici de nombreuses victimes dans les déplacements de population. Le redécoupage de l'Europe centrale en 1945 a, de la même manière, bousculé plus de 10 millions de personnes contraintes à la "migration d'identité", mais les frontières de l'époque n'ont pas depuis souffert de contestations majeures.

La seconde réserve à la perspective d'indépendance tient au fait que le Kosovo serait à la fois la tête de pont d'un islamisme radical et que son élévation au rang d'Etat pourrait être le prélude à l'établissement d'une "Grande Albanie". Si l'islamisme est fort au Kosovo, il est certain que lui donner des outils étatiques n'est pas le plus sage des projets. Mais sa force ne retomberait-elle pas grandement si le but étatique était atteint? A l'opposé, ne serait-il pas davantage enraciné si l'indépendance était retardée? Oublions-nous également que nous avons déjà trop attendu, laissant passer la chance Ibrahim Rugova, pacifiste et apprécié de son peuple qui l'avait pris pour président, décédé il y a un an? Quant à la Grande Albanie, quelle menace représente-t-elle si elle est ce que veulent les peuples concernés et si l'ONU l'accepte en échange d'un statu quo en Macédoine par exemple?

La troisième réticence au Kosovo indépendant est qu'une solution intermédiaire plus sereine existerait via le maintien dans la Serbie conjugué à l'adhésion de celle-ci dans l'Union Européenne. Devenue "communautaire", le Kosovo verrait son identité et les droits fondamentaux de ses habitants respectés, sans qu'il y ait eu à fâcher les Serbes. Certes, mais les Kosovars veulent-ils passer d'un fédéralisme à un autre même lorsque le second est promesse momentanée de subsides? Accepteront-ils d'être représentés au Conseil des Ministres européen par des gouvernants serbes? N'ont-ils pas besoin d'une "phase d'histoire nationale" afin de se construire pour mieux assumer ensuite un transfert de souveraineté à l'Europe? Enfin, l'inclusion dans l'UE a-t-elle empêché les nationalismes insatisfaits, légitimes (c'est-à-dire majoritaires) ou non, d'émerger dans les pays membres? La Corse, le Pays Basque, l'Ulster, la Belgique flamande et la "Padanie" dans d'autres registres, sont les exemples du contraire. 

Reste en dernier lieu la probabilité d'un veto russe à toute évolution qui n'aurait pas l'aval de Belgrade, donc à l'indépendance du Kosovo. Et bien il faudra le contourner. Ce ne sera pas perçu comme une négation de l'ONU, mais au contraire comme la marque que le système du veto a vécu, qu'il faut désormais agir conformément à ce qu'une majorité de nations membres estime juste, et cela mettra un peu plus en lumière la nature du régime de Poutine par les causes qu'il soutient et celles auxquelles il s'oppose. L'ogre russe a ressorti les griffes avec les pressions sur l'énergie et la reprise d'un espionnage meurtier, il continue d'écraser la Tchétchénie au mépris de toute considération humaine, et bien qu'il commence à la payer d'un camouflet sur le plan international. Il a en réalité tellement besoin des autres pour son économie (et oui, les dépendances sont mutuelles !...) qu'il ne peut pas aller plus loin que ce qu'il a déjà fait.

Pour une fois, la communauté internationale doit sortir de la "diplomatie sans fin" et de l'indécision qui entretient conflits et extrémismes. Elle doit rompre avec les "mises sous cloche" de situations inextricables, du type de celles qu'ont créées les accords de Dayton (1995). Revenons il y a douze ans. Tout en donnant un corps étatique à la "région fédérale" de Bosnie-Herzégovine, ces accords chapeautés par les USA consacraient sa partition en une République bosno-serbe et une Fédération croato-musulmane, entérinant ainsi une incapacité à vivre ensemble qui s'est confirmée depuis. Ce non-choix permettait aux Occidentaux de refouler leur peur d'une "Grande Serbie" ou d'une "Grande Croatie" (!!), alors qu'une Serbie et une Croatie portées aux limites les plus larges qui puissent être reconnues par le reste du monde, auraient d'emblée calmé leurs autres velléités territoriales, plus contestables. Sans doute avait-on peur également de contraindres les parties, via un accord doublé d'un contrôle international serré et durable, à faire l'égalité entre leur majorité culturelle et ceux des leurs qui avaient embrassé la foi musulmane. A coup sûr était-il trop "délicat" de faire que Serbes et Croates s'échangent quelques dizaines de kilomètres carrés pour assurer à la première une façade adriatique qu'elle aurait dans le cas contraire pris comme motif de contestation ultérieure... Que d'occasions perdues par peur de fabriquer des nations viables !

Aujourd'hui, la communauté internationale peut lancer un signal aux puissances, petites ou grandes, telles la Serbie ou la Russie, qui n'ont pas fait leur deuil des pressions ou des pratiques impérialistes, en condamnant de fait ces gestes et en réaffirmant qu'il existe un droit international fait de valeurs universelles. Les Tibétains, les Kurdes, les Palestiniens, voire les Tchétchènes, n'en sortiront pas gagnants dans l'immédiat. Mais un mouvement serait lancé, contre "l'impuissance du monde".

Fabrice MAUCCI - Conseiller municipal d'Aix-les-Bains

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