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Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
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7 mai 2007

Après la défaite, quelle Gauche rénovée ?

Nicolas Sarkozy, élu ce soir président de la République avec pour lui plus de 53% d’un corps électoral extraordinairement mobilisé, a remporté ce soir une victoire large, nette, sans discussion. Compte tenu des idées que celui-ci a développées pendant sa campagne (qui naviguent entre ultralibéralisme, atlantisme, racisme et conservatisme), des propos souvent caricaturaux, rétrogrades et fracturants dont il a abusé pour les imposer, ou encore des peurs qu’il nous est permis d’avoir sur sa pratique du pouvoir, un tel succès a de quoi faire froid dans le dos. [Pour tout dire, à 1h du matin le soir de son élection, j’ai encore un mal fou à croire que ce monsieur et cette fonction ne font qu’un, ou plutôt que le premier puisse endosser la seconde.]

Dans un tel contexte, je ne sais pas comment il faut « recevoir » la réaction de Ségolène Royal sur les écrans et celle d’un grand nombre d’autres responsables du Parti Socialiste. Sourires aux lèvres, ils nous annoncent que le score en voix est historique, que la candidate a en quelque sorte « pris date », et qu’elle est la mieux placée pour poursuivre la modernisation, la rénovation de la Gauche qu’elle a d’ailleurs entamée. Cela suscite deux questions : quel est le sens de la rénovation que tous appellent de leurs vœux ? et Madame Royal a-t-elle fait les preuves de ses capacités à représenter et défendre au plus haut niveau les valeurs de la Gauche ?

Pour convaincre les Français, il fallait d’abord des axes forts, des propositions concrètes et argumentées, une cohérence visible. Mais il fallait tout autant une capacité à les imposer dans le débat, à les crédibiliser et les défendre ensuite, ainsi qu’une aptitude à souligner les mensonges, les détours démagogiques, les contradictions et les fragilités de l’analyse de l’adversaire. Selon moi il nous a manqué l’un et l’autre. La campagne avait dévoilé une candidate changeant de position trop souvent. Le débat télévisé d’entre-deux-tours du 2 mai a montré une candidate socialiste imprécise, incapable de rebondir sur les incohérences et les erreurs de son rival, et souvent dans l’impossibilité de dire « où » elle allait et plus encore « comment » elle comptait nous y emmener. Etait-elle ce soir-là prisonnière de vieux dogmes mal dépoussiérés, ou bien tenue en joue par les éléphants du parti ? Non.

Alors quand Julien Dray affirme ce soir à la télévision, comme pour mieux l’asséner, qu’elle a résolu le problème de leadership au sein du PS, faisant au passage plus qu’égratigner un François Hollande mis à l’écart des stratégies de campagne, je reconnais là l’activisme du petit caporal qui veut rester du bon côté de l’appareil voire y gravir une marche, et j’observe qu’on cherche avec la répétition des mots à donner un contour à ce qui pourtant n’existe pas dans les faits.

Sur le fond, Ségolène Royal a donné sa vision de l’avenir de la Gauche, en disant vouloir construire « de nouvelles convergences, y compris en-dehors des frontières traditionnelles de la Gauche ». L’ouverture ou la translation vers le centre sont ici palpables, comme elles le sont chez DSK ou Bernard Kouchner ou chez  Jean-Marie Colombani, patron du journal Le Monde, qui pense plus clairement encore que l'échec est une question d'alliances erronées. Est-ce là que la Gauche trouvera son électorat, sa cohérence, son identité et sa crédibilité face à la Droite ? J’ai tendance à penser que ce n’est pas exactement comme cela que la Gauche peut vaincre ; et si je perçois bien l’intérêt d’aller convaincre jusqu'aux électeurs centristes, je vois nettement moins bien l’utilité qu’aurait demain une Gauche carrément déportée au Centre.

Nicolas Sarkozy nous a d’une certaine manière donné des pistes pour nous relever. Si, si, et avant même la destruction sociale qu’il va nous infliger. Sur la forme, il a un talent d’orateur dont il nous faut « multiplier les équivalents ». Nul besoin d’en reprendre les excès, les brutalités et les hypocrisies de contenu pour retenir que son parler rythmé, déterminé, a fait mouche, grâce à des mots clairs, accessibles et des discours qui déroulent des démonstrations ou des « empilements » convaincants. Il a su utiliser plusieurs niveaux de langue, s’adapter à son public. Cela était évidemment partiellement « construit », souvent « un brin démago », mais quelle corde à son arc pour s’adresser à tous les Français ! Sur le fond, il a certes tenté de brouiller son image pour élargir en citant Jaurès et Blum, la « générosité », la « fraternité », en critiquant les parachutes dorés, en promettant des « protections » attendues par les Français les plus fragiles face à la mondialisation, mais il l’a fait sans se renier. Il a collé à ses convictions et comme il l’avait annoncé en 2004, il a « décomplexé » son camp en le faisant aller très loin sur toutes ses thématiques, sans pour autant chercher d’alliances formelles avec les partis du centre et d’extrême-droite. Il a arrondi certains angles, forcé certains traits, mais n’a fait aucune concession sur son socle, son « centre de gravité idéologique ». Et si c’était là une partie non négligeable de la solution à Gauche ?

Bien sûr, la clarification et la cohérence idéologiques étaient plus faciles à droite : aller dans le sens des puissances économiques prédatrices et caresser les pires préjugés dans le sens du poil n’est pas le chantier politique le plus difficile. A Gauche, les obstacles à surmonter sont plus grands, ne serait-ce que parce que la réalité nous déplaît en même temps qu’elle s’impose, sur le moment, à nous et s'oppose à nos idéaux. Mais le potentiel est si large... Ségolène Royal a effectué un travail de réappropriation de certaines valeurs et abordé des thèmes sur lesquels la Gauche ne se prononçait pas assez, mais elle l’a fait maladroitement, sans montrer en quoi l’approche de la Gauche était originale, plus sensée et plus crédible que celle de la Droite. Elle a endossé, et porté à l’échelon national une nouvelle manière de faire de la politique, déjà en vigueur dans les municipalités et régions de Gauche depuis 6 à 10 ans, basée sur la participation de nos concitoyens « en amont » de la campagne ou des décisions. Mais s’en est-elle servie pour renforcer son projet et épaissir son discours sur le Logement, l’Ecologie, la Fiscalité sur les plus modestes, la lutte contre les discriminations, l’Europe ? Ce fut trop peu audible.

Désormais la Gauche va s'interroger plus en profondeur sur le sens de sa défaite, et le PS en particulier va se trouver écartelé entre ceux qui l'ont trouvé trop à Gauche ou pas assez, trop accompagnateur du libéralisme ou au contraire pas assez pragmatique, normalement humaniste ou déséspérément angélique. La réponse se situe peut-être du côté des sympathisants traditionnellement situés à l'aile gauche du PS et qui au premier tour avaient hésité entre Bové, Buffet, Besancenot et Bayrou. Les multiples directions de leurs atermoiements ont prouvé que ce que le "peuple de Gauche" attendait n'était pas un "allègement de programme" ni l'abandon d'une partie de ses valeurs, mais qu'on pouvait "moderniser" sans renoncer à changer la vie. Sarkozy ne s’est-il pas lui-même imposé en parlant de « rupture » ?

Pour rallier après-demain une majorité de Français, cette équation est la seule à jouer, et elle n'est pas impossible à résoudre. Il faut à la Gauche se construire une "nouvelle synthèse" qui ne sera pas un déplacement de curseur vers le centre ; c’est quand cette synthèse sera attractive qu’elle déplacera les cloisons électorales, pas l’inverse. Pour cela, la Gauche doit redonner des perspectives, dessiner le "rêve réaliste" d'un nouveau modèle de société qui corrige l'actuel partout où il s'égare en inventant de nouvelles stratégies. Les changements à projeter doivent rester aussi nets que les injustices et les dangers sont grands, mais la manière de les appliquer doit aussi être et paraître la plus efficace et la plus durable possible. Cette synthèse doit être plus ambitieuse que le PS actuel sur les plans économique et social, écologique, culturel, démocratique et diplomatique, oserai-je même plus « radicale » quand la situation l’exige, et en même temps « mieux réformiste » dans la méthode, en interpellant toutes les échelles où le politique peut agir et infléchir (européennes et mondiales notamment), en ne renonçant à aucun levier, en se montrant plus concrète et crédible grâce à des mesures innovantes, cohérentes entre elles et plus en phase avec les réalités quotidiennes.

Je vais prendre volontairement deux exemples qui hérissent chacun une partie de la Gauche pour illustrer ce propos. Oui, aussi européens que nous soyons, il fallait rejeter le TCE en 2005 car il nous ôtait des moyens d'action et figeait une démocratie au rabais sur le continent. Que Sarkozy ait critiqué - sincèrement ou non n'est même plus le problème - une UE "cheval de Troie de la mondialisation" prouve que lui avait compris cette récrimination dont l'origine était plutôt du côté du "Non de Gauche". Sur ce point le PS n'a pas souffert de ses dissidents du 29 mai, mais bel et bien de sa position initiale. A l'autre bout de la "transversale de Gauche" que j'appelle de mes voeux, prenons la suggestion de François Bayrou de permettre deux emplois nouveaux sans charge dans chaque entreprise. Libérale dites-vous? Imaginons une TPE de 3 personnes qui ne comptent pas leurs heures mais n'ont pas de marges suffisantes pour embaucher. Si elle recrute une personne de plus, elle augmente son effectif de 33% et fait en quelque sorte trois fois l'effort qu'on attendait d'elle face à un chômage de 10%. Elle remet dans l'emploi, n'enrichit certes pas la protection sociale mais diminue ses dépenses. La Gauche aurait gagné à proposer cela, éventuellement en le couplant à la Réduction du Temps de Travail car si cette idée-ci a mauvaise presse aux yeux des petits patrons, c'est avant tout parce qu'ils sont loin de pouvoir en profiter aujourd'hui. En 1997-1998, nous avons donné des cadeaux sans contrepartie d'emploi aux grosses sociétés, et appeuré des petites structures avec la RTT car les aides annoncées était structurellement insuffisantes par rapport à leur taille. Là nous avions la possibilité de redonner de l'intelligence, de l'adaptation à cet outil.

Une "potion" et un espace politiques existent donc pour une Gauche rénovée qui reste la Gauche, et la première peut unir certains électeurs de Laguiller et Besancenot à ceux de Bayrou, du moment qu’on l'entame avec des objectifs de Gauche, qu'on fait la preuve qu'on y tient, qu'on s'y tient et qu'on explique le chemin pour y arriver surtout lorsqu'il est hétérodoxe.

Les appareils politiques actuels peuvent-ils parvenir à cette synthèse ? Par leur fonctionnement, leur culture propre, je n’y crois pas. Le mouvement initié par José Bové, en-dehors de ces cadres là, est lui trop étroit dans le champ politique. Il faudra un jour prendre la responsabilité de rassembler au-dessus des partis, des individus adhérant à une ligne, des objectifs et une stratégie partagés, dépassant ces clivages et les rivalités internes à la Gauche. A bientôt DONC !

Fabrice MAUCCI

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Commentaires
P
sans oublier le texte des Gavroche :<br /> http://www.liberation.fr/rebonds/253782.FR.php, sur la grande oubliée de la présidentielle ; la question sociale.<br /> <br /> A bientôt,<br /> Pierre
Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
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