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Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
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11 avril 2007

Sarkozy, l'ennemi

En politique, il est admis qu'on doive se comporter en gentlemen. Cela requiert évidemment de renoncer aux pressions autres que celles des arguments, aux atteintes à la vie privée lorsque celle-ci ne s'est pas "enrichie" du fait des fonctions électives, et fort heureusement aussi de n'admettre aucune violence. Au-delà de ce cadre à peu près respecté en France (ou faisons comme si...), tous les coups ont beau être permis ou presque, il reste que les élus et candidats de bords différents voire éloignés se considèrent essentiellement comme des adversaires, mais pas comme des ennemis. Chaque scrutin, chaque décision, chaque projet est un combat, mais en quelque sorte un combat sportif, quasi-amical. Même si l'enjeu est fort - la manière dont on veut que la société évolue pour le bien d'autrui et des générations futures - le système démocratique est ainsi fait que dans la plupart des cas vous n'avez nul besoin de détester votre adversaire et d'en faire un ennemi pour vous donner des chances de le vaincre à l'épisode suivant.

Pour ma part, j'adhère à cette cordiale attitude à une exception près, envers l'extrême-droite. La menace que celle-ci fait peser sur la démocratie et que confirment l'histoire comme le discours, est une première raison de la traiter en ennemie. On me rétorquera alors que j'ai plus d'indulgence avec l'extrême-gauche, qui n'a pas non plus laissé de traces très positives de ses dominations passées. Ma "vigilance institutionnelle" est pourtant identique dans les deux cas. Cependant, j'estime que la menace potentielle de ceux qu'en France on qualifie de "trotskistes" est bien moindre, parce que si la méthode voulue n'est pas la bonne, sur le fond, sur les valeurs, ainsi que sur l'identification des maux de la société, leur analyse est en partie valable, me semble toujours humaine, et me paraît "assimilable" par d'autres pensées et manière d'agir.

La nuance est d'importance avec les "partis bruns" qui eux, par des mots-clés bien audibles leur évitant de tomber sous le coup de la loi, cherchent encore et toujours à hiérarchiser, séparer et discriminer les hommes. Non seulement en fonction de ce qu'ils sont capables ou non de faire, d'avoir, de ressentir, de penser à un instant T (ça, la droite s'en occupe déjà...) mais aussi en fonction de ce qu'ils sont physiquement, biologiquement et qui serait déterminant pour tout le reste, toute leur vie, sans qu'il y ait possibilité de sortir de cette condition. L'extrême-droite catalogue les individus une bonne fois pour toutes dès la naissance, balayant la fraternité, niant l'égalité, et menaçant de réduire la liberté de beaucoup. Elle est donc une ennemie. La seule a priori...

... mais n'a-t-elle pas essaimé de manière inquiétante dans notre bel hexagone? N'y a-t-il pas un autre homme politique de premier plan pour porter désormais, sinon le projet, du moins la rhétorique et, d'une certaine manière, la vision de la société voulue par l'extrême-droite? Si, et cela m'amène, démonstration à l'appui, à considérer désormais Nicolas Sarkozy comme mon ennemi. Car ce dernier n'a pas fait que "muscler" un discours de droite pour ramener à lui l'électorat frontiste ; il calque désormais des phrases entières sur celles du FN et va même plus loin que lui dans ses amalgames. Jusqu'en 2005, il se contentait de bomber le torse, de caresser dans le sens du poil les électeurs de Le Pen sans le copier complètement. Sentant peut-être qu'à ce stade il ne pillait pas encore assez le réservoir de "l'original", il a dégainé depuis l'artillerie lourde.

Son Kärcher au profit des cités HLM fut un premier appel du pied franc et massif. Le message est simple mais multifacettes, donc étudié. Premièrement la réponse doit être violente et sans nuance, car on ne lave pas à l'éponge et au robinet mais à la haute pression. Deuxièmement, on nettoie les murs des cités, pas les délinquants. Ces derniers sont donc des "saletés". C'est leur nature. Coluche s'interrogeait à ce sujet mais pour Sarkozy c'est clair, la "crasse propre" ça n'existe pas, on ne change pas les individus, ils restent ce qu'ils sont. Donc aucune autre politique que repressive n'est utile. Troisièmement, avec le fameux nettoyeur jaune, on pulvérise, on envoie loin, on met hors course, en un mot onbrise et on enferme, le plus longtemps possible. Je résume : il faut "y aller en force, traiter en bloc, réprimer et mettre en prison" pour assurer la sérénité des quartiers sensibles.

Ses "racailles" de l'automne 2005 lui ont fait franchir un pas sémantique supplémentaire, en plus d'avoir eu l'irresponsabilité d'aggraver les tensions. Le terme "racaille" n'est pas individuel, il catégorise, classe des gens dans un groupe distinct qui se définit d'abord par son caractère nuisible à la majorité. Mais ce mot dit bien plus. En lui s'exprime du mépris, et l'idée qu'il s'agit d'une "mauvaise graine inaméliorable". Enfin, le ministre ne pouvait pas non plus  ignorer qu'une dimension ethnique lui est accolé, dans la bouche de ceux qui l'utilisent pour en désigner d'autres comme dans celle des personnes définies ainsi.

Depuis, la glissade contrôlée n'a pas cessé. La stigmatisation des étrangers est devenue plus nette, indirecte avec le slogan d'immigration choisie, mais sans équivoque sur TF1, début 2007, lorsque dans un propos fourre-tout N. Sarkozy évoque les "moutons égorgés dans les baignoires", donnat corps et audience à un vaste fantasme anti-musulman. Ce qui est étonnant à quinze jours du vote, alors qu'il est en tête de 6 à 8 points dans tous les sondages de premier tour et donné gagnant contre S. Royal par tous les instituts, , c'est que le leader UMP continue l'offensive sur ce terrain-là. Alors que cette stratégie risque d'engendrer une fuite de son électorat classique et supposé acquis vers François Bayrou, il persiste. Certains y voient une volonté de renforcer Jean-Marie Le Pen pour l'affronter dans ce qui serait pour lui la plus confortable configuration de deuxième tour, sans risque de perdre. Je me range assez facilement à cette idée.

Sa dernière saillie en date, dans cette campagne qui pour lui a commencé il y a 5 ans, porte sur l'importance des prédispositions génétiques dans la pédophilie ou les tendances suicidaires chez les adolescents. Par son contenu, ses sous-entendus et par le risque pris à défendre cela maintenant, cette "sortie" est bien plus révélatrice que ne le soulignent les observateurs médiatisés.

Sur le fond, rien ne lui donne raison, il ne peut se baser sur aucune étude, et encore moins sur des évidences : se suicide-t-on en chaîne dans certaines familles sur 4 ou 5 générations? Est-on pédophile de père en fils? Evidemment non. Néanmoins, les Français ont appris que beaucoup de maladies - le suicide en est-il une ??? - survenaient chez des gens offrant une fragilité naturelle, et que celle-ci pouvait ne pas être uniquement comportementale mais aussi génétique. Nicolas Sarkozy profite de cette petite culture scientifique commune pour la transposer à un domaine où elle ne s'applique pas, et où le vécu individuel construit probablement bien davantage de fragilités déterminantes que la génétique. Peu lui importe. Ce qui compte c'est le raisonnement que développeront certains citoyens à partir de son affirmation

Car qui dit "danger d'origine génétique" dit qu'il y aura sinon demande, du moins une acceptation populaire possible, "par précaution", d'un  dépistage précoce puis d'un suivi. Mais cela sera inévitablement accompagné d'une forme de fichage, éventuellement d'une surveillance au long cours, et pourquoi pas d'une interdiction d'exercer certains métiers - on imagine en tout cas facilement un tel prolongement pour les supposés futurs pédophiles. Si de tels contrôles et contraintes se conçoivent peut-être dans le cas d'un criminel sexuel avéré, déjà condamné, libéré sans certitude absolue de non-récidive, elles deviennent un danger incroyable et liberticide si on les applique un jour préventivement à toute une série d'enfants puis d'adultes détectés simplement parce qu'ils possèdent un gène "suspect".

Mon raisonnement serait une fiction insultante pour Nicolas Sarkozy si celui-ci n'avait pas déjà tenté de détecter à 3 ans les enfants dont le comportement aurait pu révéler une prédisposition à la délinquance ultérieure. Il y a décidément chez cet homme un déterminisme effrayant, qui n'est d'ailleurs qu'une extension de son intégrisme libéral : si un être humain est génétiquement prédisposé à être un criminel, qu'est-ce qui empêchera demain, sur ce prétexte, de renoncer à lui apporter des soins, une protection sociale, à le former et l'insérer. Avec de tels préjugés, qu'est-ce qui dit que nous ne retournerons pas à des pratiques eugénistes en insistant auprès des mères pour qu'elles avortent des petits criminels en devenir identifiés par amniocentèse ? Evoquer cela n'est en rien délirant puisque le début du XXème siècle nous a démontré que de tels raisonnements pouvaient conduire aux pires extrémités.

Avec cette intervention récente et assumée, le candidat UMP aura à la fois révélé un peu de sa pensée profonde et lancé encore et toujours plusieurs "messages subliminaux" aux sympathisants du lepénisme et de l'ultra-libéralisme. Car il n'est jamais anodin d'aborder la criminalité et la fragilité sous l'angle de la génétique. Dans le premier cas on envoie un signe quasi-approbateur à ceux qui croient à une hiérarchie des hommes figée et raciale, car dans leur esprit "race" et "gènes" sont associés. Finie l'époque du racisme ethno-culturel, on entre dans l'ère du racisme génétique, façon vingt-et-unième siècle. Dans le second cas on justifie la place et le sort respectifs des "forts" et des "faibles", des "gagneurs" et des "perdants", quelle que soit l'ampleur des inégalités qui les séparent. On admet que les uns étaient "faits pour réussir" et que d'autres ne le pouvaient pas. Et on conclut à l'inutilité des politiques publiques en faveur de l'élévation sociale de tous ceux qu'on estime génétiquement incapables, on les remplace par un "chèque de survie" minimaliste : les gènes viennent ainsi au secours du libéralisme fiscal voulu par le Monsieur en question.

Hypothèses? J'espère que oui mais je crains que non. Dans d'autres pays, d'autres hommes ont fait le lien entre droite et extrême-droite, non en les associant mais en les fusionnant. Autoritarisme, conservatisme, ultra-libéralisme, vision ultra-hiérarchisée de la société et stigmatisation conjointe de l'étranger, du délinquant et du pauvre. J'ai un exemple sur le bout de la langue : l'italien Gianfranco Fini. Cet ancien ministre éminent du gouvernement Berlusconi a écrit la préface de la version italienne d'un ouvrage récent de Sarkozy. Hormis un blog cité dans les pages web de Libération, aucun organe français de presse écrite ou audiovosuelle n'a relevé que Fini est l'ancien leader de l'Alliance Nationale, parti post-fasciste portant aux nues Mussolini, et dont le symbole est le même que celui du FN avec une flamme en vert-blanc-rouge. Croyez-vous que Sarkozy ait choisi au hasard celui auquel il a confié les premières pages de ses "Témoignages" version transalpine ?

Et puis un membre de l'équipe Berlusconi... Ah, Berlusconi, ses rapports avec la presse. Cela ne rappelle-t-il pas Sarkozy et la presse? Les amitiés avec les actionnaires, les pressions sur les rédactions, les exclusions obtenues à Paris Match, les censures obtenues d'un livre sur son épouse... Pour moi il n'y a plus doute, Sarkozy est mon ennemi*.

* : Ceci étant dit, deux questions subsistent : 1°) Si Sarko est l'ennemi, qui sera le meilleur missile anti-Sarko dans 11 jours ? Celle-ci me donne le vertige. 2°) Si le second tour est Sarko / Le Pen, que fait-on? A celle-là, sans changer une lettre de ma conclusion, je répondrai clairement. La politique menée par les deux serait proche, mais il y en a un que son parti n'empêchera jamais d'annuler s'il le souhaite les élections suivantes ou de tirer sur des manifestants, alors que le parti de l'autre se retournerait contre lui s'il allait aussi loin. Je me dois donc d'éviter à tout prix celui qui m'empêcherait de le remplacer. Si le 6 mai nous avions le dramatique non-choix entre UMP et FN, je mettrai un bulletin UMP, comme en 2002. Sauf que cette fois je participerais à la création d'une nouvelle formation politique à gauche pour donner corps aux espérances déçues et supplanter ces chapelles et ce château décidément incapables.

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