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Fabrice MAUCCI - Démocratie Ecologie Solidarités
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31 mars 2007

Jetons les sondeurs, pas les sondages !

A 22 jours du premier tour de l'élection présidentielle de 2007, notre pays continue de vivre en schizophrénie sondagière permanente. Les sondages d'intentions de vote - plus que les enquêtes d'opinion "qualitatives" - la France en raffole comme aucune autre nation. Depuis janvier il s'en publie au bas mot un par jour. Si les journaux qui les commandent le font à ce rythme, c'est d'une manière ou d'une autre que nos concitoyens adhèrent à la démarche, y trouvent un intérêt et des réponses fiables aux questions qu'ils se posent. Curieusement cependant, cette France est dans le même temps toute disposée à suspecter ces sondages d'une totale inefficacité ou à les juger potentiellement manipulateurs.

C'est que 2002 est passée par là. Le "21 avril" n'a pas été que le séisme politique qui évinça la Gauche du second tour au profit de l'extrême-droite. Il figure rétrospectivement comme une rupture dans la confiance des Français envers les sondages, même si cela n'a pas fait reculer d'un iota notre "dépendance" à leur égard. Ce jour-là, le coup de bambou n'a pas seulement été le fait que Le Pen ait devancé Jospin (16,8 contre 16,1% des voix), mais il est aussi résulté du fait qu'un tel classement était totalement inattendu et absolument pas redouté comme il aurait du l'être. L'opinion publique ne se connaît pas, elle n'a une idée d'elle-même qu'à travers les sondages, et elle eut à cet instant l'impression d'avoir été trompée sur son "état". Au cas hautement probable où nous l'aurions oublié, rappelons que le dernier sondage SOFRES publié 3 jours avant le scrutin donnaient les deux protagonistes en question à 12,5 et 18%.

Pour partie néanmoins, la méfiance qui s'est instaurée depuis vis-à-vis des sondages n'est pas justifiée. Il a manqué, et il manque sans doute encore aux Français une "maturité sondagière", une formation à la lecture critique de ces données. Listons plusieurs points qui ont probablement posé problème sans qu'il en soit de la faute des sondeurs :

- tout d'abord les sondages annoncent qu'ils sont construits à partir d'un "échantillon représentatif de la population", mais on est en droit de se demander comment ils parviennent à le constituer. Quelle que soit la méthode utilisée, il faut en savoir beaucoup d'un individu et de la société pour être certain que l'un est le reflet d'une partie de l'autre préalablement définie et mesurée. Aujourd'hui, beaucoup discutent du fait qu'une part des Français ne peut être sondée, n'ayant pas de ligne téléphonique fixe, et que cette fraction correspond à des modes de consommation et de vie, donc à des choix politiques, qui sont probablement différents de la moyenne ou du reste des Français. Voilà qui peut inquiéter.

- deuxièmement, les sondages incluent une marge d'erreur, parfaitement admise par ceux qui les réalisent : + ou - 2 ou 3 points. D'un point de vue technique une telle fourchette est une belle performance puisqu'elle se limite à plus ou moins 1/5ème, 1/6ème, plus souvent même 1/10ème du poids total estimé pour chaque candidat au premier tour, et qu'elle est relativement plus réduite encore pour le second tour (en théorie...). Par contre, confrontés à l'enjeu et à l'attente de précision, renforcée par des scores présentés en demi-points, ces écarts deviennent énormes. Enormes mais furtifs. Car la presse et les acteurs politiques qui les commentent, ayant besoin de s'appuyer sur eux pour effectuer une nouvelle analyse , galvaniser ou alerter, s'en tiennent eux aux seuls chiffres donnés en gras, supposés de toute façon révélateurs du niveau moyen auquel les candidats sont attendus. Tout contribue donc à faire oublier  l'imprécision intrinsèque et incompressible des sonsages. Dans le cas de 2002, rajouter 3 points aux 12,5 prévus pour Le Pen et en enlever 3 aux 18 octroyés à Jospin aurait pu faire comprendre que le doute était en fait permis. Appliquée à 2007, cette précaution montre que rien n'est encore fait et qu'un troisième homme peut devenir deuxième ou même premier le 22 avril prochain.

- troisièmement, les sondages sont des "instantanés" susceptibles d'évoluer. Ce qui compte lorsqu'on les lit, c'est tout autant le niveau atteint par les uns et les autres que la courbe, la tendance qui se dégage sur les trois ou quatre dernières enquêtes. En avril 2002, Jospin et Chirac étaient depuis des semaines sur une pente descendante alors que Le Pen stagnait pour enfin se redresser dans la dernière ligne droite. Ceux qui avaient prolongé les courbes théoriques de quelques jours et intégré les marges d'erreur savaient qu'entre le candidat socialiste et le leader frontiste, la partie seraient probablement plus serrée qu'annoncée.

- quatrièmement, on a découvert en 2002 un phénomène jamais expliqué auparavant : la sous-déclaration des intentions de vote pour certains candidats, en l'occurence Le Pen, et les coefficients correctifs qu'appliquaient parallèlement les instituts de sondage à leurs résultats bruts pour parvenir à une estimation crédible. Nécessaires dans une telle situation, ces correctifs restent des "solutions maison" peu comparables entre elles et aux bases aussi fragiles que secrètes. Pour 2007, ils sont carrément au coeur de la polémique puisque personne ne sait si et dans quelle proportion la percée lepéniste de 2002 a "libéré" l'expression de la préférence pour le FN, pas plus qu'on ne connaît la manière dont les sondeurs ont revu leur correctif : à la hausse pour tenir compte de la sous-estimation de l'élection précédente, ou à la baisse en supposant que les électeurs d'extrême-droite s'affirment désormais?

- enfin, le caractère récurrent des sondages dans les mois qui précèdent l'élection, la répétition d'une même configuration attendue de second tour (Jospin-Chirac, Gauche-Droite) et la focalisation médiatique sur le duel  devenu entre temps si "évident", ont ensemble donné l'impression à beaucoup d'entre nous que le premier tour était joué et que seul le second portait un enjeu. On oublia massivement que "pour aller en finale il fallait jouer les qualifications et les gagner" et que le dimanche matin du vote les compteurs se remettaient à zéro. Le vote d'adhésion pure et le vote sanction l'ont ainsi emporté sur l'objectif terminale et sur l'aptitude finale à faire gagner un camp plus large.

Ceci dit, des interrogations majeures pèsent encore sur les sondages. Les écarts entre instituts n'ayant a priori pas de raison d'être supérieures aux marges d'erreur de chacun d'entre eux, il est permis par exemple de se demander pourquoi le 29 mars 2007, IPSOS donne au second tour N. Sarkozy vainqueur de S. Royal avec 53,5% contre 46,5% alors que le même jour, CSA donne gagnante S. Royal avec 52%. Une telle différence (5,5 points) paraît vertigineuse. Elle l'est tout autant au premier tour entre CSA, BVA, IFOP et IPSOS, qui le 29 ou le 30 mars ont estimé le candidat UMP à 26% pour l'un et 31,5% pour l'autre, la candidate PS entre 23 et 27%, et François Bayrou entre 17,5 et 21%.

Plus largement, c'est l'indépendance des instituts de sondage qui, personnellement, me pose les plus lourdes questions. Il ne s'agit pas là de les mettre en accusation sans procès, mais de se demander quelle relation ils ont avec ceux qui les font vivre et ceux qu'ils aident à vivre, c'est-à-dire les grands groupes de presse. Ces derniers sont aujourd'hui en France tous aux mains de financiers ou de marchands d'armes (Dassault, Lagardère) dont l'intérêt propre - qui transparait dans leur ligne éditoriale de manière plus ou moins édulcorée - est de voir gagner un candidat libéral et "interventionniste" sur le plan diplomatico-militaire. Si vous me suivez, Nicolas Sarkozy était certainement dès le départ celui qu'ils souhaitaient voir atteindre l'Elysée. Cet axiome étant posé, il est permis de croire que les grands journaux français, avec l'aide des sondages qu'ils paient ("le client est roi"), avaient intérêt à développer la stratégie suivante.

En phase 1, surmédiatiser Sarkozy et faire de son ambition présidentielle une chose naturelle, évidente pour tous, sans concurrence dans son camp. Phase 2, pour s'assurer de son investiture, créer par les mêmes méthodes un adversaire "à sa taille" que seul lui, à droite, est susceptible de battre, mais qui n'est pas nécessairement le plus attendu, le plus expérimenté ou réputé le plus efficace et dangereux. Ce fut Ségolène Royal, avec l'aide d'une touche de "glamour" et de "people". Phase 3, en la distinguant comme la seule de sa famille politique capable de battre Sarkozy, faire avec Royal ce qu'on a fait avec lui pour qu'elle devienne officiellement la candidate du PS. Phase 4, commencer à frapper sur cette dernière qu'on ne veut pas voir gagner, souligner ses faiblesses et ses erreurs alors qu'on tait celle de son rival. Phase 5, faire émerger un troisième homme qui grignote plus sur la candidate PS plus que sur le candidat UMP de manière à "assurer le coup" et tenter d'obtenir un second tour exclusivement libéral pour être certain de disposer d'un pouvoir "favorable".

On pourrait en être là. Paradoxalement, ce qui me confirmerait cette cynique stratégie c'est le fait que la plupart des instituts ne livrent au public qu'une seule hypothèse de second tour, entre Royal et Sarkozy, et ce malgré l'expérience de 2002. En fait, les rares enquêtes évaluant une finale avec Bayrou ont toutes montré qu'il l'emporterait, tout simplement parce qu'il serait dans chacun des cas de figure le "moins pire" sur lequel se rabattrait le camp absent d'un tel second tour. Et cela va tout de même à l'encontre du souhait suprême des grands propriétaires de médias. Il faut donc se servir du candidat UDF tant qu'il fragilise essentiellement Royal, mais s'il affaiblit Sarkozy il peut être utile de faire dégonfler la bulle...

Ce n'est qu'une opinion, mais je l'enrichis d'un pronostic : 1. Sarkozy 25%, 2. Royal 21%, 3. Bayrou 20%, 4. Le Pen 19%, 5. Besancenot 5%, puis Buffet, Laguiller, Villiers à 2%, Bové, Voynet, Nihous et Schivardi à 1%.

F. MAUCCI

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